Une petite histoire...

~ Souviens-toi… ~

« Noëlle ?
- Oui… ?
- Epouse-moi… »
Un grand sourire. Puis plus rien…

* * * 2 ans plus tôt… * * *

J’avais grandement besoin de me calmer les nerfs. Entre ma mère maniaco-dépressive, et mon père starbé qui divorçaient, je me coltinais la petite sœur, pour lui éviter d’avoir à subir les disputes incessantes de mes parents. Cela faisait 3 mois que ça durait sans arrêt ; 3 mois que je supportais cette gamine de 14 ans, en pleine crise d’adolescence, 24 heures sur 24h, 7 jours sur 7.
Ce jour-là j’avais réussi à m’en débarrasser grâce à ses copines qui l’avaient tirée de force en ville pour faire un aprèm’ lèche-vitrines. Je pus donc en profiter pour filer loin de mon appart, en rogne contre la terre entière.
Mes pieds me conduisirent instinctivement à travers le grand parc central de la ville, puis me firent longer le bord du fleuve qui coulait non loin, pour me faire atterrir devant l’entrée principale de l’énorme bibliothèque municipale. Lire ? Après tout, pourquoi pas, ça m’occuperait et détendrait mes muscles contractés et endoloris…
En flânant dans les rayons, le regard vide, je pensai à tout ce qui m’arrivait quand je heurtai de plein fouet une pile de livres ambulante. Tombant les quatre fers en l’air, je me relevai rapidement, confuse, lissant rapidement ma robe plissée pour m’excuser auprès de la personne et l’aider à se relever.

« Je suis navrée, je ne regardais pas devant moi, et… »

Je me statufiai, l’air bête, devant la personne se trouvant devant moi. Un jeune homme, d’environ mon âge, au joli visage, me dévisageait étrangement, entre réprobation et amusement. Il avait les yeux noisette avec une pointe d’or autour de l’iris, des sourcils légèrement broussailleux, un nez bien fait et des lèvres joliment dessinées. Il devait être magnifique, souriant…
Rougissant subitement et pestant contre moi-même, je me baissai pour ramasser les livres que j’avais fait tomber, refis la pile telle qu’elle était, m’inclinai pour saluer l’homme que j’avais renversé et partis en courant, rouge pivoine.

C’est ainsi que j’ai rencontré Pierre. Par la suite, je suis retournée à la bibliothèque plusieurs fois, et l’ai croisé à chaque fois. Au début je sentais mon visage s’empourprer pour rien, surtout lorsqu’il me souriait ; mais avec le temps je m’habituai à sa présence qui me faisait du bien. Au bout de deux mois je lui déclarai ma flemme, tremblante ; il répondit à ma demande par un magnifique sourire à me faire tourner la tête et lâcher mes genoux, puis par sa main dans la mienne, et enfin en m’embrassant longuement, tendrement, en séchant les petites larmes de joie pointant de chaque côté de mes yeux.
Le temps passa, et nous emménageâmes ensemble. Nous sortions souvent pour nous promener dans le parc, au bord du lac ; nous faisions des randonnées, des virées à la plage. Notre premier Noël ensemble fut pour moi un moment inoubliable : la décoration, le sapin, les cadeaux, le repas, sa famille, la mienne, son sourire angélique et envoutant, sa main dans la mienne avant qu’il ne la porte à ses lèvres…
Je l’aimais chaque jour plus. Je m’attachais, encore et toujours, au point de ne plus pouvoir me passer de lui. Le simple fait de ne pas le voir une seule fois de la journée me rendait pratiquement malade…
J’étais souvent sujette aux évanouissements chroniques, pour un oui ou pour un non. La première fois que cela m’arriva, nous étions dans notre bain, discutant et riant, gamins, en nous lançant de la mousse sur la figure, lorsque je sentis ma tête tourner ; lentement, comme au ralenti, je tombai sur son torse, la tête penchée en arrière, frissonnante. Le pauvre avait paniqué comme jamais, et m’avait aussitôt emmenée aux urgences. Il avait fallu deux ambulanciers pour l’empêcher de rester accroché à moi, tel un proche refusant de lâcher le corps d’un mort.
Et puis, 2 ans s’écoulèrent. Nous filions le parfait amour, ma sœur était partie vivre chez ma mère, et le divorce avait fini par aboutir, apportant à nouveau joie, calme et sérénité. Mon père s’était remarié, et avait eu un nouvel enfant.
Ce jour-là, nous étions dans notre appartement, Pierre et moi, assis sur le canapé, cocoonés ; moi les pieds sur le canapé, recroquevillée contre son torse, ma tête rejetée dans son cou, ses bras autour de moi…

* * * Fin du flashback * * *

Je sentais son cœur battre plus fort qu’à l’accoutumée, mais ne m’en inquiétais pas. Il arrive parfois que le rythme cardiaque augmente sans véritable raison…
Je venais d’éclater de rire à son anecdote de la journée, lorsqu’il me retourna vers lui, le visage grave.

« Pierre ? Pourquoi fais-tu cette tête ? Quelque chose de grave est arrivé ?
- … »

N’obtenant pas de réponse, je pris sa main dans la mienne, nouant nos doigts, avant de me pencher vers lui, inquiète. Il releva le visage, très sérieux, et me prit l’autre main.

« Noëlle…
- Oui… ?
- Epouse-moi… »

Sa phrase me fit l’effet d’un électrochoc. Figée, la bouche ouverte, je le fixai, interdite. Ce n’est que quelques secondes plus tard, lorsque je réalisai pleinement le sens de sa demande, que je souris à pleine dents. Ses lèvres s’étirèrent de joie pour m’offrir un sourire resplendissant. A cet instant je sentis mon cœur exploser de joie, mes yeux se fermèrent, et ma tête retomba sur le canapé, inerte. Mes mains suivirent le mouvement, et l’une d’elle vint frôler le tapis tandis que l’autre venait reposer à côté de ma hanche gauche. Une larme perla au passage, un « je t’aime » chuchoté sortit de ma bouche, puis, plus rien. Le noir complet.

Noëlle ne se réveilla jamais…